vendredi, mars 30, 2007

Un leurre complexe

Le concept de l'égalité des chances, qui fait l'unanimité au sein de la classe politique raisonnée, à tel point qu'on peut parler d'idéologie pour le caractériser, a connu son heure de gloire pendant le deuxième mandat de Jacques Chirac, un projet de loi et un ministère étant consacrés à sa promotion. Or, on doit bien reconnaître qu'il est jusqu'à présent l'un des thèmes absents du débat d'idées que doit susciter un rendez-vous politique comme celui de l'élection présidentielle. On l'évoque sans jamais le nommer, au travers de la carte scolaire ou de l'ordre juste. Nicolas Sarkozy se mouille un peu plus en brandissant la discrimination positive comme panacée, ceci ayant au moins le mérite de nous sortir du débat sur l'école pour ajouter une reflexion sur le monde du travail. Mais on pourrait très bien penser aussi qu'on garantit mieux cette idée d'égalité grâce "tout simplement" à la non-discrimination en matière d'éducation et d'emploi. De plus, quand le candidat ajoute à cela sa suppression des droits de succession, on se demande bien dans quel sens il va: égalité des chances ou conservatisme social et transmission clanique des rentes?

En quoi consiste alors cette obscure égalité des chances? Elle réside dans un principe de justice intuitif, qui cherche à limiter au maximum, pour un individu, l'influence sur sa destinée des facteurs sociaux donnés à sa naissance. Ainsi, avec elle, une situation initiale socialement défavorisée n'est plus un handicap, et donc le succès ou l'échec au long de la vie reposent uniquement sur l'idée de mérite, ce qui paraît alors eminemment juste. En effet, seuls les choix personnels expliquent alors la réussite, et non plus les circonstances sociales. C'est donc fort séduisant, puisque l'avenir dépend de nous.
Il existe malgré tout une faille essentielle dans ce raisonnement qui fonde par exemple la conception de l'intervention de l'Etat aux U.S.A. Si on élimine les inégalités sociales arbitraires, on oublie en revanche en chemin les inégalités naturelles, tout aussi scandaleusement injustifiées. L'aptitude naturelle à convaincre, persuader, en usant de la langue comme d'une arme lors d'un entretien d'embauche n'est pas donnée à tout le monde. Elle est même largement héritée du milieu social duquel on provient: ainsi les enfants de professeurs sont-ils plus nombreux par exemple dans les grandes écoles que les enfants d'ouvriers, et il existe une corrélation entre le nombre de mots qu'on maîtrise et la probabilité qu'on a de se retrouver en prison. L'égalité des chances ne corrige donc pas l'inégalité non méritée des aptitudes naturelles, puisque celles-ci sont la plupart du temps acquises, et donc en lien direct avec le bain social qui nous entoure, et non innées. Au fond, ces aptitudes ne sont pas si "naturelles" que ça.

Croire que les individus sont déterminés par les décisions qu'il prennent pour mener leurs vies relève donc de l'acte de foi aveugle, puisque les circonstances contingentes de l'existence interviennent inexorablement à un moment. Et ça, peut-être que les candidats l'ont compris, ce qui expliquerait leur méfiance à l'égard d'un concept pavé de bonnes intentions.