dimanche, octobre 22, 2006

Réflexions sur la charge

On peut être comme moi plutôt attaché aux institutions de la cinquième république et néanmoins se poser des questions quant à la fonction présidentielle telle qu'exercée en France et surtout à propos de la coexistence d'un exécutif à deux vraies têtes. C'est un cas unique à ma connaissance dans les grandes démocraties occidentales : si les Etats-Unis ont fait le choix d'un président fort sans premier ministre, la plupart des Etats comparables à la France (Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, Suède, Belgique...) ont un executif composé d'un chef de l'Etat symbolique, garant de l'unité nationale et de la constitution, qui peut être monarque ou républicain, et d'un chef de gouvernement, qui conduit la politique de l'Etat.

On accuse souvent, à raison d'ailleurs, le président de la République de se comporter en monarque : ce reproche a été fait à tous les présidents de la Vème sans exception. Or, dans les pays où il y a de vrais monarques, ceux-ci ne gouvernent pas. Ils laissent ça au premier ministre. Nous sommes donc le seul pays au monde où roi et maire du palais gouvernent tous deux. S'il y a de bonnes exceptions françaises, celle-ci est elle réellement efficace ? Regardons de près ce qui s'est passé depuis 1980, au hasard : l'Angleterre a connu trois chefs de l'executif (Thatcher, Major, Blair), l'Allemagne trois aussi (Kohl, Schroder, Merkel), l'Espagne trois aussi (Gonzalez, Aznar, Zapatero), les Etats-Unis quatre (Reagan, Bush, Clinton, Bush Jr). La France a certes connu deux présidents, record, mais... onze premiers ministres, record inverse : cherchez l'erreur ! Et alors, me direz-vous ? En soi, ce n'est pas un problème, mais à y regarder de plus près, la coexistence des deux têtes a souvent été très pénible, laborieuse, voire contre-productive : Chirac (deux fois !), Rocard, Jospin vous en parleront mieux que moi. Quand l'executif se perd en querelles internes, il s'éloigne de sa fonction et de sa mission d'efficacité dans la décision et l'application des mesures votées par le législatif.

Cela appelle un autre questionnement : celui de la fonction d'unité nationale du président. Le système électoral a été conçu à une époque où le président de la République transcendait les clivages nationaux. Petit à petit, l'élection du président s'est résumée au triomphe d'un chef de clan sur l'autre. D'où la propension du président, notamment en cohabition, de se comporter davantage en chef de parti, de faction (Mitterrand l'a prouvé en 86 avec le refus de signer les ordonnances sur les privatisations, puis Chirac aussi) qu'en tête de la nation.
Comment y remédier ? Réduire significativement le rôle du président et le cantonner à un rôle plus symbolique : unité, représentation, tradition. Cela conduirait inévitablement à l'arrêt de son élection au suffrage universel. S'en plaindrait-on ? Pas moi. Car, pour citer quelqu'un qui n'aura pas souvent la chance d'être cité par moi, Alain Krivine : "la personalisation de la vie politique dépolitise les citoyens". Et les candidats à ce président d'un nouveau type, je les vois déjà : Delors, Weil, Rocard, Barre, voire, pour faire moins octogénaire, Kouchner, Juppé ou... Chirac !